Texte lu lors des obsèques d'Ophélia Avron par Pauline Davranche-Carasso
Ophélia
Philippe avait l'habitude de lire chaque soir, à Ophélia, des textes, des poèmes qu'il avait choisis pour elle...
Quand nous étions au Québec, en tournée, avec lui - tournées limitées impérativement à "pas plus de 15 jours loin d'Ophélia" - , il lui téléphonait chaque jour, avant d'entrer en scène et après le spectacle et lui faxait des petits dessins ou des petites phrases au fil de ses émotions.
“Philippe est formidable” disait souvent Ophélia, droguée des mots de son tendre troubadour. “T'es ben chanceuse...” lui répondais-je avec une pointe d'envie...
Quand Philippe est parti pour son ultime tournée au delà des étoiles, il lui a laissé des milliers de mots, écrits sur des cahiers de1956 à 2008.
Dix-neuf mille pages à lire, à trier, à choisir!
Trois ans en compagnonnage avec les mots de Philippe pour en faire une œuvre où elle a mis le point final lors de notre dernière rencontre, il y a trois semaines...
Trois cent cinquante pages dans lesquelles j'ai picoré, de ci, de là, les mots de Philippe pour rendre hommage à notre merveilleuse amie Ophélia .
"Juillet 1966
Je trouve tout naturel de respirer au même rythme qu'Ophélia.
Tout naturel qu'ici dans ce silence, cet isolement, nos soirs et nos journées soient tellement harmonieux.
C'est comme une eau dans laquelle nous, poissons, nous vivons.
D'ailleurs, dès qu'on ne se sent plus, dès qu'on ne comprend plus le rapport persistant, permanent qui nous unit, on est paumé, on bat de l'aile, on n'est plus soi-même.
Qu'est-ce qu'on serait devenu l'un sans l'autre : Ophélia, la proie des analyses psychologiques des enfants, des frangins, et moi, celle des potes à qui je me dois toujours, de rendre des comptes, pour ne pas qu'ils m'en veuillent. Tous les deux certainement pas mal, mais sur une patte.
Août 1967.
Ophélia. Jolie blonde, bronzée, intelligente.
Elle ne dit jamais de choses qui me hérissent, mais fait des remarques intelligentes.
Elle est aimée des gens que j'aime : Billetdoux, Lecoq, Lamorisse.
Elle organise ou n'organise pas, trouve la meilleure solution, prévoit le repas.
Elle construit et favorise la vie.
Janvier 1983
Je pense à l'énigmatique Ophélia dans sa maison du Var, seule, avec ses livres, ses cours super raturés de sa petite écriture.
C'est sa création, sa trace, son essence, et, comme moi, rien n'est plus important.
C'est ainsi qu'on se sent bien face aux autres. Face ou avec.
Octobre 1997
O mon Tiounet, mon Ophé. Dans nos travaux, notre recherche, à nos âges, on continue ce lien qui passe par l'amour, mais qui sait que la mort existe et qu'elle menace nos âges.
Mars 1999
Si je devais mourir maintenant, j'aurais accompli ma vie...
La rencontre avec Ophélia étant déterminante.
O. C'est un lac avec des eaux profondes et sa surface joyeuse qui reflète les montagnes de sa vie et d'Italie.
Janvier 2000
Je t'aime, mon Ophélia. Nos âmes se baladent par la main,
attentives et curieuses, essayant de ne pas trop subir le temps si toujours pressé et d'aller à l'étonnement beau.
Avril 2003
Ce soir, Ophélia fébrile et ardente fait une communication sur les groupes et l'adolescence. Elle est admirable.
Et je vois comme son énergie discrète a pu animer des équipes de recherche et, de l'intérieur, m'animer moi.
2004
Mon Ophélia se débat avec ses pairs.
C'est comme si elle soulevait une pierre tombale pour jouer de sa petite flûte...
Août 2007
Je vais avec le maire, mon ami Victor, choisir mon emplacement dans le petit cimetière
d'Hardivilliers...Ça m'a toujours frappé la petitesse des cimetières par rapport au village ou à la ville. Pourtant ils sont nombreux les morts.
J'espère que - sans souffrance et sans diminution - j'irai le plus lentement possible vers ma tombe d'adoption, pas loin de la clef des champs.
Je suis en sursis. Quelque chose m'épargne. Et Ophélia aussi.
Les choses continuent, continueront dans le cœur, l'esprit, le voyage des gens.
Les traces poétiques sont des rivières."
...
Voilà, ma merveilleuse et tendre Ophélia, rejoins vite ton Philippe, dans sa cité irradieuse, où toutes les âmes "Marchent, Larges, Librement, Très bien . "
Et ne vous lâchez plus jamais la main...
Pauline Davranche-Carasso
9 octobre 2013