sur Théâtre du Blog, un article de Philippe du Vignal
Carnets d’artiste 1956-2010 de Philippe Avron
Depuis longtemps, les hommes de théâtre ont consigné leurs observations, et souvent au jour le jour, sur la pratique de leur métier, et il y eut des livres formidables comme ceux de Louis Jouvet que les apprentis acteurs ne cessent de relire. Et celui de Philippe Avron, à la fois comédien mais aussi auteur est de la même veine. Ce sont des carnets, écrits un peu partout au hasard des possibilités dans un café souvent « quand disait-il les idées sont fraîches , qu’elles ont envie de galoper, » et cela depuis 1956 jusqu’à sa mort en 2010 peu après avoir joué son Montaigne, Shakespeare et moi, mis en scène par Alain Timar au Festival d’Avignon. C’est un document d’une exceptionnelle richesse écrit par un homme passionné et généreux et qui n’arrêta jamais de travailler avec les plus grands metteurs en scène.
D’abord longtemps avec Vilar au festival d’Avignon et au T.N.P. . puis avec Jacques LecoqPeter Brook, Jorge Lavelli, Roger Planchon et Beno Besson , notamment dans Le cercle de craie caucasien de Brecht et Dom Juan. Il fit aussi merveille au cabaret avec son vieux complice Claude Evrard. Puis il entama une carrière plus solo avec ses propres textes, comme entre autres Ma Cour d’honneur, Je suis un saumon, Le Fantôme de Shakespeare que ces soit en France , au Canada, voire aux Etats Unis.
On le vit aussi au cinéma dans les films de René Clair, Michel Deville, Gilles Grangier. C’est de cette formidable aventure humaine et artistique à la fois dont il parle dans ces Carnets. Il est aussi intelligent dans ses réflexions que modeste, aussi pétillant d’humour que de gravité parfois philosophique. Boulimique, il possède une culture exceptionnelle, grand lecteur, et curieux de tout, il ne cesse d’admirer les êtres, les peuples, les textes et les œuvres d’art. Son Ophélia d’abord et toujours, et Shakespeare, les Dogons, Molière, la philosophie de Kant… .
Côté métier, il n’est pas du genre à céder: » Pas de vie sans combat. Autrement on regarde tomber ses cheveux ». Mais Philippe Avron reste lucide et pense à sa disparition prochaine et programmée: « A 53 ans, je me sens vieux quand j’ai peur, mais à part ça je pète le feu. Quand j’ai peur angoisse, je me sens vieux figé. Quand j’ai peur maladie, je me sens vieux perdu ». Mais avec un bel humour, il note plus loin: « C’est dommage que la vie finisse mal. On s’en va sur une mauvaise impression ». Et il mourra au combat, à 81 ans, peu de temps après ce Montaigne, Shakespeare et moi qu’il crée en Avignon, au Théâtre des Halles dans la mise en scène d’Alain Timar, sans doute conscient de vivre ses derniers jours: « Maintenant je dois me ménager pour mourir en pleine forme ».
C’est de ce parcours d’homme de théâtre que parle ce livre vraiment étonnant et qui se lit d’un seul trait.
Ph. du V.
Editions Quatre Vents L’Avant-Scène Théâtre 20 €
Montaigne, Shakespeare et moi de et Par Philippe Avron, image et réalisation de Jean-Gabriel Carasso.
C’est l’enregistrement réalisé par Jean-Gabriel Carasso des essais de ce dernier spectacle au Théâtre de la Vie à Bruxelles. Il est là seul en scène, avec son beau visage buriné, vibrant de passion tenant à la main un livre tout rafistolé d’Extraits de Montaigne qui avait appartenu à son père, lycéen à Calais pendant la Grande Guerre. Philippe Avron évoque ses souvenirs de vacances quand son grand-père qui, comme son père , s’appelait aussi Philippe et qui arbitrait le jeu du meilleur mort que lui et ses frères et sœur jouaient sur la plage de Sangatte. Comme un pressentiment?
Puis le comédien, droit dans ses bottes, simple et majestueux commence par lire Montaigne puis Shakespeare. « Tant qu’il y aura de l’encre et du papier de par le monde, j’écrirai ».
Diction et gestuelle des plus remarquables, présence fabuleuse, ce dernier essai avant les quelques représentations d’Avignon, est évidemment plus que précieux… Ce testament émouvant et bien filmé, qui est une initiative de l’association Les amis de Philippe Avron, nous restitue en une petite heure, à la fois l’homme et le comédien: c’est aussi une grande leçon d’interprétation théâtrale. Le texte définitif du spexctacle est édité aux Editions Lansman.
Ph. du V.
Editions L’Oizeau rare.